Elle s’appelait Anne

On aurait dû se retrouver à la plage, peut-être même autour d’un feu de camp, pour échanger et partager comme elle aimait tant. A l’heure du brunch ou de l’apéro, peu importe, elle vivait pour manger. Il y aurait eu des grignotages salés, et du café, noir et sans sucre. 


Je sais que j’aurais dû lui tirer les vers du nez pour qu’elle m’en dise plus sur elle ; elle, la mystérieuse blonde qui préférait écouter plutôt que parler. Elle n’avait rien à cacher, seulement c’était dans son tempérament d’être là pour nous observer de ses grands yeux bleus, nous conseiller, nous permettre de relativiser afin de profiter des petits plaisirs de la vie.


Nous aurions probablement marché, cela l’aidait à dérouler ses pensées et à se confier ; elle me l’avait expliqué. 

Photo : Madeleine Photographe


Elle aurait parlé de sa sœur, de sa maman, de son papa et de ses amis omniprésents. 
Elle m’aurait conté ses petites folies quotidiennes.
Elle m’aurait décrit son héroïne de bac à sable.
Nous aurions écouté de la musique et on se serait laissées porter par elle. Aurions-nous dansé ? 


Puis elle m’aurait raconté son jumeau maléfique, le vicieux, le malin, le pot de colle, comme elle me l’a décrit. Mais sans colère, c’est un sentiment qu’elle n’éprouvait pas. Sans larmes non plus, « je ne pleure pas, je ne suis pas assez triste pour ça« , m’avait-elle dit… 


Elle était déterminée à avancer, elle était « remontée comme un coucou pour combattre !« . 
Elle était simple, authentique et tolérante. 


Durant certains silences, je l’aurais surprise en train de regarder l’horizon, se laissant bercer par le rythme des vagues, rêvant à cette année sabbatique qu’elle aurait dû prendre pour voyager, aller à la rencontre des autres et s’enrichir de ce que l’on voudrait bien lui apporter. 
J’aurais été impressionnée par cette sérénité. Je l’ai tellement été.

Elle aurait insisté sur ce qui lui tenait à cœur de montrer : la joie de vivre malgré l’épreuve, l’acceptation d’un corps tel qui l’est, la nécessité de s’auto-palper.
Elle attendait beaucoup de nos échanges et de nos rencontres. Si elle savait tout ce qu’elle aurait pu m’apporter.


« Je ne veux pas que l’on me voit comme une malade !« , aurait-elle conclu. Moi non plus je ne le veux pas pour toi. Elle était femme avant d’être malade. 


Sa couleur était le doré, couleur du soleil et des étoiles. Son moment préféré le matin, quand tout est encore possible. Elle a décidé de s’envoler pour mieux rayonner un matin du mois de mai, mettant un point d’exclamation à la fin de l’histoire, comme elle adorait en mettre à tout va !


Elle s’appelait Anne et sera toujours à nos côtés pour Aparté Portraits Croisés.

Ce texte est en hommage à Anne Sébilo, l’une de nos modèles. Frappée par un cancer du sein triple négatif à 26 ans, elle a récidivé à 37 ans. Son cancer s’est métastasé l’été dernier. Elle nous a quittés dans la matinée du 19 mai, elle avait 39 ans. L’exposition présentera son triptyque, non aboutit. Notre façon de lui rendre hommage. Elle fait et fera toujours partie de cette aventure. 

Le cancer du sein triple négatif est un cancer dont les récepteurs hormonaux et HER2 sont absents sur les cellules cancéreuses. Il touche environ 10 à 15% des personnes atteintes d’un cancer du sein, dont la plupart ont moins de 40 ans. Très agressif, il est souvent dépisté à un stade avancé et présente un risque de récidive élevé. Aujourd’hui, en France, le cancer du sein triple négatif à un stade métastatique ne se soigne pas. Pourtant il existe un nouveau traitement produit par le laboratoire Gilead, Le Trodelvy, qui fait déjà ses preuves dans des pays tels que les Etats-Unis ou l’Allemagne. Or le laboratoire français n’aurait pas la capacité de livrer ce traitement et annonce une possible livraison fin 2021, sans certitude. Les triplettes sont donc contraintes de lever des fonds elle-même pour aller se faire soigner en Allemagne. Le coût de cette prise en charge s’élève autour de 130.000€. Anne avait monté une association, Un espoir pour Anne, https://www.unespoirpouranne.com/, pour se faire soigner en Allemagne, et avait reçu début mai ses premiers traitements. 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *